Conduire sous l'emprise de cannabis : pourquoi est-ce dangereux ?

INTERVIEW - Alors qu'un nouvel accident dramatique s'est produit ce week-end impliquant un conducteur sous l'emprise de cannabis, TF1 News a demandé à Pascal Kintz, expert en toxicologie, de décrire les effets de cette drogue dont la dépénalisation éventuelle fait débat.

Le week-end dernier, près de Montpellier, un jeune de 20 ans qui conduisait sous l'emprise de cannabis a provoqué un accident dans lequel un bébé de sept mois a perdu la vie (lire : Bébé tué dans un accident : le chauffard aurait eu "une absence" et voir : un bébé meurt dans un accident causé par un chauffard sous emprise de cannabis). Selon le procureur-adjoint de la République Patrick Desjardins, le jeune homme a déclaré qu'il aurait eu un "moment d'absence" alors qu'il conduisait. Lundi, il a été mis en examen pour homicide involontaire par imprudence, non-maîtrise du véhicule et conduite sous l'emprise de stupéfiants. D'après une étude épidémiologique de 2005, 230 personnes meurent chaque année sur les routes à cause de la drogue, le risque d'accident mortel étant multiplié par 1,8 si l'on conduit après avoir consommé des stupéfiants. Le chiffre passe à 8,5 en cas d'ivresse au volant et à 15 pour une conduite combinant les méfaits de l'alcool et de la drogue. Alors que le débat sur la dépénalisation du cannabis ressurgit régulièrement, TF1 News a demandé à un expert en toxicologie quels étaient concrètement les effets du cannabis sur le consommateur.

TF1 News : Quels sont les effets du cannabis sur la personne qui en consomme ?
Dr Pascal Kintz, pharmacien toxicologue, président d'X-Pertise consulting : le principal effet du cannabis est la modification de la vigilance. Les informations mettent plus de temps à arriver au cerveau. Il favorise aussi l'incoordination motrice. Bien que, globalement, le cannabis soit plutôt considéré comme un sédatif, il peut parfois engendrer de l'agressivité. Il peut aussi provoquer des hallucinations visuelles et des modifications dans les couleurs. Si vous prenez le volant sous l'emprise de cannabis, cela est particulièrement dangereux car vos gestes sont désynchronisés, vous appréciez mal les distances, vos réactions sont plus lentes et vous pouvez avoir des troubles visuels vous faisant par exemple confondre une personne avec un sac poubelle ou le feu rouge avec le feu vert.

Contrairement à l'alcool, les effets du cannabis ne sont pas immédiats

TF1 News : Pour ressentir les symptômes que vous décrivez, suffit-il de consommer un joint ou faut-il avoir une consommation assidue ?
Pascal Kintz : Il n'y a pas vraiment de règles. C'est la grande différence d'avec l'alcool. Quand vous consommez un peu d'alcool vous êtes un peu modifié dans votre comportement, si vous en buvez beaucoup, vous êtes encore plus atteint dans votre comportement. Avec le cannabis, cela ne fonctionne pas du tout comme cela. Ca dépend de la vitesse à laquelle vous fumez, de la quantité de principe actif à l'intérieur, mais, surtout, les effets ne sont pas immédiats. Il faut attendre 20 à 30 minutes après avoir fumé. Et on estime que dans les 4 à 6 heures qui suivent il y a une altération de la vigilance.

TF1 News : Quelles sont les techniques pour savoir si quelqu'un a consommé du cannabis ?
Pascal Kintz : La seule méthode reconnue par la justice, c'est la prise de sang. Mais on peut aussi le détecter dans la salive si la consommation est récente et dans l'urine, où le cannabis reste présent pendant près d'une semaine. L'analyse des cheveux, elle, permet de déterminer s'il y a une consommation ancienne dans le temps. A la racine du cheveu, il y a des capillaires sanguins qui, de façon passive enregistrent tout ce qui est présent dans le sang. Et comme les cheveux poussent d'un centimètre par mois, si vous avez six centimètres de cheveux, on pourra vous dire si vous avez consommé sur les six derniers mois ou pas. Et si vous avez consommé beaucoup ou juste un peu. Cette technique, pour l'heure, n'est pas utilisée par les enquêteurs en France.

TF1 News : Quelles sont les autres situations dans lesquelles il faut absolument éviter d'être sous l'emprise de cannabis ?
P.K. : si l'on sort du débat sur la dépénalisation ou pas du cannabis, c'est un produit que, globalement, il convient d'éviter dans trois situations bien établies : la conduite, comme on vient de le voir, mais aussi les situations d'apprentissage -donc quand on est élève ou enseignant et qu'il s'agit de faire travailler la mémoire-, et dans certains métiers potentiellement très dangereux - chimiste, transporteur etc... .

On ne peut pas faire d'overdose de cannabis, mais on peut mourir de ses effets secondaires

TF1 News : Quelles sont les conséquences à moyen ou long terme ?
P.K. : Il semblerait qu'il y ait une difficulté de mémorisation des choses. Une étude récemment publiée en Nouvelle-Zélande sur des jeunes qui ont consommé du cannabis pendant dix ans montrerait que leur QI a diminué. C'est difficilement vérifiable. Il semblerait, en revanche, qu'il y ait une possibilité de révéler des états pathologiques un peu cachés, comme une schizophrénie latente. Une grande différence d'avec les drogues dites dures, comme l'héroïne ou la cocaïne, c'est que l'on ne peut pas faire d'overdose avec le cannabis. Ca n'existe pas. Mais cela ne veut pas dire que l'on ne meurt pas à cause du cannabis. Un surdosage peut entrer une énorme hallucination qui fait que vous vous prenez d'un coup pour un oiseau et que vous sautez par la fenêtre, ou bien vous prenez votre voiture et la désynchronisation des mouvements fait que vous rentrez dans une pile de pont.... Donc, vous pouvez mourir des effets secondaires du cannabis.
L'autre question est de savoir si le cannabis a une toxicité organique. Là, honnêtement je dirai plutôt que non. Il est en tout cas bien moins dangereux que l'alcool qui a une toxicité avérée sur le foi.


Peut-on devenir dépendant au cannabis ?
P.K. : certains le disent. Le gros problème est de savoir si on devient dépendant au cannabis ou si on est dépendant à la nicotine et au tabac puisque c'est mélangé avec. C'est très difficile d'être catégorique. En tout cas, avec le cannabis, n'est pas décrit un syndrome de manque comme c'est le cas avec la cocaïne, l'héroïne, les barbituriques etc...